« Ca y est… Je coule à nouveau. Je savais que ça allait arriver. Pourquoi est-ce que j’ai fait ça ? Pourquoi est-ce que je fais TOUJOURS ça ?

Leander était assis dans les couloirs des appartements des Apollons, adossé contre un mur. La tête cachée dans ses genoux, il tenait son portable d’une main tremblante, comme s’il venait tout juste de recevoir un appel.
Le jeune homme n’en parlait à personne, se laissant passer aux yeux des autres pour quelqu’un de joyeux, plein de vie, qui aimait plaisanter et s’amuser, mais il avait l’impression d’être constamment en train de lutter pour ne pas se noyer. Dans un océan de désespoir… Non… Dans un océan de vide. De rien de tout. Mais surtout ; d’absence de bonheur. Cacher son identité, sortir constamment avec des filles pour lesquelles il n’avait aucune attirance, leur briser le cœur encore et encore… Il ne pouvait pas faire ça bien longtemps sans conséquence.
Parfois, à l’horizon, il voyait quelque flotteur auxquels il parvenait à s’accrocher temporairement pour reprendre son souffle. Certains étaient de vrais bulles de bonheur, comme un moment privilégié avec Chocobo ou Shishigami. D’autre, en outre, étaient des pièges. Et le pire, c’était qu’il s’y accrochait consciemment, trop désespéré d’aspirer une goulée d’air. Mais le plaisir était de courte durée, et se transformait ensuite en tentacules de culpabilité et de panique qui s’enroulaient autour de ses jambes pour essayer de le noyer complètement.

Aujourd’hui était un de ces jours. En début de mois, sitôt son salaire reçu, il avait aperçu un superbe voiture. Pas n’importe quelle voiture. Une voiture personnalisée pour ressembler à celle d’un de ses jeux vidéo préférée ; la Regalia. La Regalia en modèle chocobo ! Il ne pouvait pas passer à côté de cette occasion ! Il avait plongé dessus les yeux fermé. Mais ce genre de petite merveille affichait un prix quelque eu exorbitant, et, avant de s’en rendre compte, le photographe avait dépensé en un seul achat plus d’argent qu’il n’en possédait. Son compte affichait à présent un rouge criard, suffisant pour que sa banque l’appel à ce sujet.
C’était ainsi qu’il s’était retrouvé dans cet état. Prostré à même le sol, tremblant comme une feuille. Sa respiration s’était emballée, mais, à travers ses sanglots, il lui était impossible de la reprendre. En fait, c’était même plutôt l’inverse, il avait la  sensation de s’étouffer. Qu’il allait mourir comme ça. Fin pitoyable pour un être pitoyable.

Alors qu’il se sentait tiré au fond par les affres du désespoir, sorte d’eau sombre et épaisse qui emplissait sa bouche pour l’empêcher de respirer ou d’appeler à l’aider, qui obscurcissait sa vision pour l’empêcher de voir la lumière, tout là-haut, une voix douce et familière parvint à Leander sans qu’il parvienne à en déchiffrer les mots. Quelque chose s’abattit sur son genou, et il sursauta, s’écartant brusquement, comme s’il venait d’être frappé ou brûlé.

Le blondinet fixa la personne qui était arrivée, les yeux ronds comme des soucoupes. Il lui fallut un moment pour identifier Kehphren. Ce n’était pas la personne avec qui il s’entendait le plus parmi les chasseurs, mais il semblait l’avoir approché avec bienveillance. Et Leander n’était de toute façon pas en état de s’inquiéter qu’on découvre son secret. Luttant pour respirer, il essaya de rassembler ses esprits pour réfléchir à ce que son collègue avait dit.

« C… Ça va. Je…. Je suis juste…. Juste un idiot. J’ai fait une grosse connerie… C’est tout… j… Tu ne devrais pas… Perdre ton temps avec moi… Je pourrais t’attirer des ennuis… Tant je suis un boulet.

Articula-t-il péniblement à travers ses dents qui claquaient comme s’il avait froid. Il essaya d’essuyer ses larmes, de se reprendre pour avoir l’air un minimum présentable devant Kehphren. Mais c’était peine perdue. Il tremblait comme une feuille morte tentant vainement de résister aux assauts du vent d’hiver. Ses larmes inondèrent aussitôt son visage à nouveau, et ses mains se refermaient d’elles même, à l’image d’une araignée qui replierait ses pattes pour feindre la mort sous l’effet de la peur.

- Merci… De t’être inquiété pour moi… Alors qu’on ne s’entends pas… »

Leander laissa échapper un rire amer quand le lion émit l’hypothèse qu’il pourrait l’aider à réparer son erreur. Il devait être naïf pour croire qu’il pouvait lui venir en aide. Ou même que la plupart des erreurs étaient réparables. C’était plutôt l’inverse. La plupart des erreurs étaient des catastrophes qui pouvaient ruiner des vies. Et certaines étaient innocentes. Celle-ci faisait partit de la première catégorie.

« Non. Tu ne peux pas m’aider. A moins que tu ne puisses couvrir le trou béant que j’ai creusé dans mon compte en banque. Et, même si c’était le cas, je n’accepterais pas de toute façon. Je ne suis pas du genre à demander de l’argent aux autres.

Il sursauta quand Kehphren essuya une de ses larmes et lui lança un regard surpris. Ne le détestait-il pas ? Après toutes les horreurs qu’il lui avait dit pour le maintenir éloigné ?

– Bien sûr que je t’ai sauvé. On ne s’entend peut-être pas, mais on reste camarades, et j’ai vu trop de camarades mourir quand j’étais à l’armée. Et puis, même si on ne l’était pas, tu l’as dit toi-même, je suis un héros. C’est mon devoir de sauver les gens. Si mon pouvoir ne sert pas à ça, alors à quoi bon ?

A quoi bon être détesté par sa mère maintenant qu’elle savait qu’il était un héros. Un de ces types qui, à ses yeux, avait passé un acte avec le diable, s’était détourné de dieu. S’il devait ne plus jamais revoir sa famille et s’isoler parmi d’autres héros, autant mettre son pouvoir au service d’une bonne cause. Comme sauver des vies. Sans distinction.
Le blondinet baissa les yeux. Il n’essaya pas de sourire comme l’avait demandé Kehphren. Déjà parce que ce n’était pas parce que son collègue se montrait sympa pour une fois qu’il avait envie de lui faire plaisir pour autant. Mais aussi parce qu’il n’avait pas du tout envie de sourire. Il se sentait misérable. Il se détestait. Il avait envie d’être une autre personne. Ou de ne rien être du tout. Mais de ne surtout pas être Leander Iris, l’idiot qui détruisait constamment sa propre vie. Le crétin condamné à vivre célibataire et malheureux. Pourquoi aurait-il envie de sourire ? Ou même à s’y forcer ?

- J’ai acheté une voiture sur un coup de tête. Pas une petite voiture d’occasion pas chère. Une voiture personnalisée sur commande. Ce n’est pas juste un objet de luxe. C’est une œuvre d’art. Unique au monde. Et le prix… Disons que seules certaines personnes très riches sont censées dépenser de telles sommes comme ça. Je viens de recevoir un appel de ma banque. Mon compte est tellement dans le négatif, je ferais mieux de déménager sur Mars pour qu’on ne me retrouve jamais, parce que je ne pourrais jamais renflouer ça. »

Expliqua-t-il.

Un faible sourire éclaira doucement le visage de Leander qui tourna les yeux vers Kehphren en secouant la tête quand son camarade nota qu’il pensait qu’il aurait été le premier à vouloir sa peau ;

« J’ai eu à supporter des crétin bien plus supportable que toi à l’armée. Si je voulais la mort de tous ceux qui m’insupportent, on les aurait retrouvés avec une balle dans le dos. Je n’ai aucune envie de me faire une tournée des bars avec moi, mais je ne souhaite pas de mal pour autant. Ce n’est pas mon genre.

Il baissa les yeux, fixant un point sur le sol que lui seul semblait voir ;

- Parfois, je rêve que tout le monde s’entende, aussi niais que ce soit.

Marmonna-t-il, si bas qu’il parlait probablement plus à lui-même qu’à Kehphren. Quand Kehphren dit qu’il pensait prendre un colocataire, Leander redressa la tête en haussant un sourcil ;

- Dis plutôt que tu veux que quelqu’un fasse le ménage pour toi, on est logé et nourris ici. Je ne vois pas ce qu’un colocataire t’apporterait. En tout cas, ne comptes pas sur moi pour être ta bonne. Je suis peut-être ruiné, mais j’ai encore assez d’honneur pour ne pas m’occuper de l’antre de d’un type que je ne supporte pas.

Malgré ses propos, il n’y avait aucune animosité dans sa voix. Il parlait calmement. Une pointe de fatigue perçait dans sa voix, ce qui était compréhensible après sa crise de panique. Un rire amère l’agita brusquement et il ajouta d’un ton acerbe ;

- Enfin, ce n’est pas comme si tu voudrais avoir quelqu’un comme moi travaillant pour toi. Tu me déteste aussi, et tu as bien raison.